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Jean Brossel

Né en 1918, Jean Brossel a été une figure clé du développement de la physique atomique, cofondant avec Alfred Kastler le Laboratoire de Spectroscopie Hertzienne de l’École Normale Supérieure, aujourd’hui intitulé Laboratoire Kastler Brossel. Il a contribué à des avancées scientifiques majeures, telles que le développement de la méthode de pompage optique, tout en formant de nombreux physiciens de renom. Son travail a laissé un héritage durable dans la recherche scientifique et l’enseignement en France.

La carrière de Jean Brossel

Jean Brossel naît le 15 août 1918 à Périgueux. Il est reçu au concours d’entrée à l’École normale supérieure en 1938, mais la guerre l’empêche d’y poursuivre immédiatement ses études : il est mobilisé deux ans. Il effectue sa scolarité à l’ENS de 1941 à 1945. Après la guerre et des années d’occupation, les laboratoires français manquent de tout, la recherche étant dans un piteux état, alors qu’elle avait bien progressé dans les pays anglo-saxons. C’est pourquoi Alfred Kastler oriente son élève Jean Brossel à poursuivre sa formation au Royaume Uni et aux USA, afin de rapporter ensuite en France les connaissances récentes et les idées permettant de mettre à jour les thèmes de recherche. Brossel quitte donc la France après la guerre (comme l’ont fait aussi Jacques Friedel et Anatole Abragam), et jusqu’en 1951 va se perfectionner, en particulier expérimentalement : d’abord au sein du groupe de Samuel Tolansky à Manchester, très versé dans la spectroscopie atomique, puis dans celui de Francis Bitter au MIT dans le Massachussets aux Etats-Unis, où il prépare sa thèse, tout en restant en étroit contact épistolaire avec Kastler.

C’est d’ailleurs lors de ces échanges qu’est venue l’idée de la “double résonance” qui permet de mesurer la position de certains niveaux d’énergie excités des atomes avec une précision jusqu’alors jamais atteinte. Au MIT, Brossel réalise une expérience avec des atomes de mercure qui démontre l’intérêt de la méthode. En parallèle, Kastler invente le principe du “pompage optique”, qui s’inspire de la double résonance mais concerne les atomes dans leur niveau fondamental.

Brossel revient en France en 1951 pour y soutenir sa thèse d’état sur la double résonance avec un jury dont Kastler fait partie et s’installe au laboratoire de physique de l’ENS. Il crée plus tard en 1951 avec Kastler le Laboratoire de spectroscopie hertzienne de l’E.N.S., qui sera renommé de son vivant (et avec son consentement) Laboratoire Kastler-Brossel en 1994, quand Michèle Leduc aura pris la direction du laboratoire. Le laboratoire est codirigé par les deux hommes jusqu’en 1972, date de la retraite de Kastler. Brossel assure ensuite seul la direction jusqu’en 1984.

La carrière universitaire de Brossel est brillante. Après avoir commencé comme attaché de recherche détaché à l’étranger en 1945, il devient chargé de recherche au CNRS en 1951 à son retour en France, puis il est nommé en 1955 maître de conférences de physique à la Faculté des sciences de l’université de Paris où il fait cours au PCN avec Pierre Aigrain, puis en 1957 il enseigne la physique atomique. Devenu professeur sans chaire puis titulaire à la faculté des sciences de Paris (1960-1985), il préside la Société française de physique (1968-69) à laquelle il donne une vigoureuse impulsion pour y faire adhérer les jeunes chercheurs. Il occupe rapidement de nombreuses fonctions d’importance dans le monde universitaire, par exemple comme membre du Comité national du CNRS (1971-1980) et du Comité Consultatif des Universités (1970-1976). Rappelons qu’outre la direction de son laboratoire de spectroscopie hertzienne (1967-1985), il cumule pendant douze ans (1973-1985) avec le poste de directeur du Laboratoire de physique de l’ENS : il assume à ce poste la lourde succession d’Yves Rocard. Il entre enfin à l’Académie des sciences en janvier 1977.

Jean Brossel est lauréat de nombreux prix prestigieux : prix Robin de la Société française de physique et Prix d’Arsonval du Collège de France (1954), prix Henri de Parville (1955), prix Jaffé (1965) et grand prix Ampère (1974) de l’Académie des sciences, prix Holweck de la Physical Society (1960), Prix des trois physiciens (1975). La consécration arrive en 1984 avec l’attribution de la Médaille d’or du CNRS. L’État lui rend hommage en le nommant Officier de la Légion d’Honneur et Grand-Croix de l’Ordre National du Mérite. Un grand symposium international en hommage à Jean Brossel a été organisé au Ministère de la Recherche en 19xx et un autre (lieu ?) en 2004.

Il décède le 4 février 2003 et est enterré dans l’intimité à Périgueux, sa ville natale, qui donne son nom à la grande place autour de laquelle sont bâtis les établissements universitaires.

La direction du laboratoire à l’ENS avec Kastler : renaissance de la physique atomique

Une fois revenu en France, Brossel démarre une collaboration exceptionnelle avec Alfred Kastler, qui débouche sur un feu d’artifices de résultats. Ils s’appliquent immédiatement à recruter des physiciens pour développer des thèmes originaux et fonder des équipes de recherche. Tous deux attirent dans leur groupe de nombreux et très brillants jeunes, passionnés de physique : Jacques Winter, Jean-Claude Pebay-Peroula, Jacques Blamont, Bernard Cagnac, Marie-Anne Bouchiat, Jean-Pierre Barrat, Jean Margerie et Claude Cohen-Tannoudji, pour n’en citer que quelques-uns.

La première expérience de Brossel réalisée au Laboratoire de Physique de L’ENS est la mise en évidence du pompage optique. Elle fait suite à la double résonance observée au MIT : celle-ci consistait à manipuler l’atome à la fois avec des ondes optiques et hertziennes : on le porte par résonance optique dans un état excité avec la lumière, ce qui permet l’observation d’une résonance à fréquence hertzienne (résonance magnétique par exemple) en induisant des transitions entre les sous-niveaux de cet état excité. Ce travail expérimental réalisé au MIT est publié en 1949 dans les comptes rendus à l’Académie des sciences. La démonstration expérimentale du pompage optique est faite dans la foulée par Brossel à l’ENS en collaboration avec Jacques Winter, encore jeune étudiant. Elle est réalisée dans un premier temps sur un jet atomique d’atomes de sodium, irradiés par de la lumière jaune (celle des lampes utilisées pour l’éclairage des routes) polarisée circulairement. Le taux d’orientation du spin des atomes dans l’état fondamental est mesuré optiquement par fluorescence. Cette expérience historique réalisée par Brossel en août 1952 est publiée au Journal de Physique en décembre de la même année. Dans la continuité on apprend à détecter le phénomène de résonance magnétique entre sous-niveaux Zeeman de l’état fondamental. Et la méthode du pompage optique est adaptée au fonctionnement en cellules de verre et non plus sur jet, ce qui ouvre un vaste champ d’applications.

Brossel se passionne pour les multiples études poursuivies dans son laboratoire en continuité avec les premières. Son intuition physique lui fournit souvent l’explication des phénomènes observés : relaxation dans tous les types de collisions, croisements de niveaux, transitions à plusieurs photons, diffusion de la lumière, etc… Dans la seconde moitié des années soixante s’amorce une diversification des sujets de recherche avec l’arrivée du laser, dont le premier à l’ENS est construit par Bernard Decomps et Michel Dumont. Brossel suivra de près tous ces travaux ; il aura au total été le directeur de xxx thèses. Bien au-delà de son mandat de directeur, Brossel assiste à toutes les soutenances de thèse du laboratoire, un peu étonné tout de même de croiser au fil des années de plus en plus de jeunes doctorants et postdoctorants ne parlant pas français dans les couloirs…Il est cependant l’artisan initial du spectaculaire développement du laboratoire, auquel il apporte une contribution majeure en favorisant l’extension des locaux au centre universitaire de Jussieu à l’emplacement de l’ancienne Halle aux Vins à la fin des années 1960.

L’héritage de Jean Brossel

Alfred Kastler, surtout après l’attribution du prix Nobel en 1967, et compte tenu de ses prises de position humanistes dans le domaine de la politique, a joui d’une réputation mondiale considérable. Celle-ci a un peu éclipsé, injustement, la contribution majeure de Brossel qui a consacré toute son talent et son énergie à la recherche pour faire progresser spectaculairement les connaissances en physique atomique. En réalité Kastler et Brossel formaient une paire très complémentaire : alors que Kastler consacrait beaucoup de temps à la diffusion des idées dans la communauté nationale et internationale, Brossel assurait la direction effective du groupe. Il suivait et stimulait les thèses qui s’y déroulaient, encourageant en particulier les femmes, quasiment absentes de la recherche en physique française dans les années 1960 mais relativement nombreuses dans son laboratoire (Marie-Anne Guiochon-Bouchiat, Françoise Grossetête, Colette Julienne-Galleron, Françoise Boutron-Hartmann, Nicole Polonsky, Michèle Leduc).

Brossel était l’un des seuls “grands patrons de la physique” qui mettait autant la main à la pâte sur le plan expérimental. C’était par exemple lui qui, le chalumeau à la main, effectuait sur son banc de pompage le remplissage des cellules en verre contenant les gaz à étudier (alcalins, mercure, hélium, etc.) : lui seul savait dégazer totalement les cellules et les revêtir d’enduits paraffinés pour éviter la relaxation des spins orientés par collision sur les parois de verre. Dans un domaine plus théorique, on lui doit l’explication physique des spectres de transitions à plusieurs photons, dont la théorie détaillée a ensuite été faite par Winter, ainsi que bien d’autres découvertes.

Son cours de Physique atomique au DEA était très complet et retraçait avec précision l’histoire de la discipline. Il en a fait l‘objet d’un ouvrage en anglais (référence ?). Une fois leur thèse passée, il a encouragé ses élèves à aller fonder leur propre groupe de recherches dans d’autres universités, à Caen ou Grenoble par exemple. Le rayonnement national et international de Brossel a été considérable.

Jean Brossel (1918-2003) fait partie des “pères refondateurs” de la physique française. Kastler a toujours profondément regretté que Brossel n’ait pas été associé à son prix Nobel en 1966. C’est peut-être parce que Brossel n’était pas co-signataire de l’article théorique original de Kastler sur le pompage optique, mais il avait très directement participé à la première mise en évidence expérimentale de cette méthode générale. Brossel a toutefois eu le plaisir de voir l’un de ses élèves les plus proches récompensé du prix, Claude Cohen-Tannoudji en 1997.

Pour en savoir plus

Alfred Kastler : Cofondateur du laboratoire

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