Alfred Kastler, surtout après l’attribution du prix Nobel en 1967, et compte tenu de ses prises de position humanistes dans le domaine de la politique, a joui d’une réputation mondiale considérable. Celle-ci a un peu éclipsé, injustement, la contribution majeure de Brossel qui a consacré toute son talent et son énergie à la recherche pour faire progresser spectaculairement les connaissances en physique atomique. En réalité Kastler et Brossel formaient une paire très complémentaire : alors que Kastler consacrait beaucoup de temps à la diffusion des idées dans la communauté nationale et internationale, Brossel assurait la direction effective du groupe. Il suivait et stimulait les thèses qui s’y déroulaient, encourageant en particulier les femmes, quasiment absentes de la recherche en physique française dans les années 1960 mais relativement nombreuses dans son laboratoire (Marie-Anne Guiochon-Bouchiat, Françoise Grossetête, Colette Julienne-Galleron, Françoise Boutron-Hartmann, Nicole Polonsky, Michèle Leduc).
Brossel était l’un des seuls “grands patrons de la physique” qui mettait autant la main à la pâte sur le plan expérimental. C’était par exemple lui qui, le chalumeau à la main, effectuait sur son banc de pompage le remplissage des cellules en verre contenant les gaz à étudier (alcalins, mercure, hélium, etc.) : lui seul savait dégazer totalement les cellules et les revêtir d’enduits paraffinés pour éviter la relaxation des spins orientés par collision sur les parois de verre. Dans un domaine plus théorique, on lui doit l’explication physique des spectres de transitions à plusieurs photons, dont la théorie détaillée a ensuite été faite par Winter, ainsi que bien d’autres découvertes.
Son cours de Physique atomique au DEA était très complet et retraçait avec précision l’histoire de la discipline. Il en a fait l‘objet d’un ouvrage en anglais (référence ?). Une fois leur thèse passée, il a encouragé ses élèves à aller fonder leur propre groupe de recherches dans d’autres universités, à Caen ou Grenoble par exemple. Le rayonnement national et international de Brossel a été considérable.
Jean Brossel (1918-2003) fait partie des “pères refondateurs” de la physique française. Kastler a toujours profondément regretté que Brossel n’ait pas été associé à son prix Nobel en 1966. C’est peut-être parce que Brossel n’était pas co-signataire de l’article théorique original de Kastler sur le pompage optique, mais il avait très directement participé à la première mise en évidence expérimentale de cette méthode générale. Brossel a toutefois eu le plaisir de voir l’un de ses élèves les plus proches récompensé du prix, Claude Cohen-Tannoudji en 1997.